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KHABAROVSK, L'EXTREME ORIENT AUX PORTES DE L'EUROPE

Tout juste promu en Premier League russe pour la première fois de son histoire, le SKA Khabarovsk fait déjà parler de lui. Mais plus que ses performances sur le terrain, c'est sa situation géographique qui retient l'attention. Situé aux confins de la Sibérie orientale, le SKA va devoir affronter d'interminables voyages pour défier le reste des équipes russes, à l'ouest du pays. Une situation insolite, loin de faciliter le développement d'un club qui affiche le plus petit budget du championnat.
 
8757 kilomètres, voilà la distance que les joueurs du Zenit Saint-Pétersbourg ont du avaler le 16 juillet denier pour disputer leur premier match de la saison, face au SKA Khabarovsk. En voiture, le trajet avoisine les 4 jours et demi. Pire, en Transsibérien comptez 7 jours. Et si les hommes de Roberto Mancini ont effectué le voyage en avion, les chiffres donnent tout de même le vertige : « Lors des déplacements, on faisait souvent escale à Moscou. Soit déjà 7h de vol, se rappelle Yuriy Dyupin, ancien gardien du club lors de la saison 2015/2016. Il faut y ajouter la connexion, l'attente à l'aéroport puis l'autre vol. Au total, il y en a pour à peu près 14h . Seulement pour l'aller ». 

Il faut dire que Khabarovsk n'est situé qu'à 30 kilomètres de la frontière chinoise, à l'extrême est du pays. Un véritable chemin de croix dès lors qu'il s'agit de voyager vers l'ouest. D'autant qu'il faut ajouter à cela le décalage horaire. Au moment du coup d'envoi face au Zenit, l'horloge du vieux Stade Lénine de Khabarovsk affiche en effet 18h. Pourtant, à Saint-Pétersbourg, il n'est encore que 11h : « Il y a 7h de décalage avec l'ouest, explique Jonathan Behe, joueur français passé par l'autre club de la région, le Luch Vladivostock, en 2012. Avec les longs trajets, c'est très difficile et c'est aussi pour cela que j'ai résilié mon contrat après seulement 8 mois ».

L'arène des neiges

Une situation loin d'être optimale pour le développement du SKA. D'autant que sur les rives du fleuve Amour, le climat n'est pas là pour aider. Avec une température moyenne de 1,7 degrés à l'année et un thermomètre qui peut descendre jusqu'à -20 de décembre à février, le contraste avec le reste du pays peut surprendre : « Le climat est vraiment différent de celui qui existe à l'ouest ou au centre de la Russie », s'étonne Konstantin Savichev, fraîchement arrivé de l'équipe 2 du Spartak Moscou à l'intersaison. Un constat partagé par Yuriy Dyupin, désormais sous contrat avec le Kuban Krasnodar, sur les bords de la mer noire : « Les clubs du sud ont un vrai avantage, explique-t-il. Le climat y est agréable et permet d'avoir de magnifiques pelouses naturelles ». Les joueurs du SKA doivent quant à eux se contenter d'un terrain synthétique. Il faut dire qu'avec une neige présente au sol près de 114 jours par an, le climat ne laisse guère le choix au club, déjà bien content quand ses joueurs peuvent s'entraîner convenablement : « Le climat est très humide et quand le froid arrive, il devient compliqué de jouer au football », poursuit l'ex portier. 
 
 

Ces conditions hostiles n'ont pourtant pas empêché Khabarovsk de signer une performance historique puisque depuis sa création en 1946, le club n'avait encore jamais réussi à atteindre l'élite du championnat soviétique, puis russe. En terminant à la 4e place de la Première Division (deuxième échelon), le SKA s'est donc offert le droit de disputer les barrages. Une ultime confrontation où le club va s'offrir le scalp du Gazovik Orenbourg, 13e et barragiste de Premier League (premier échelon). Preuve que le SKA peut rivaliser avec certaines formations de l'élite russe. Mais pour sa première saison complète à l'étage supérieur, les hommes d'Aleksei Poddubskiy pourraient bien avoir un peu plus de mal à briller. Car les contraintes inhérentes à l'isolement
géographique du club ne jouent pas vraiment en sa faveur : « Le principal problème que nous rencontrons est simple : pour attirer des joueurs compétitifs, nous devons les payer le double comparé à ce qu'ils touchent à l'ouest », avoue Mikhail Poddubskiy, fils de l'entraîneur et responsable de l'équipe de jeunes du SKA. Compliqué donc d'attirer des éléments de premier plan du côté du Stade Lénine. Et avec le plus petit budget de la Premier League, l'équation vire au cassetête au moment de convaincre les potentielles recrues. 

Hors joueurs issus des anciens pays de l'Union Soviétique, les étrangers ne se bousculent d'ailleurs pas pour venir garnir les rangs de l'effectif. Cette saison, Miroslav Markovic fait d'ailleurs figure d'exception. Arrivé cet été, l'attaquant serbe vient remplacer Juan Lescano – buteur argentin passé par les équipes de jeunes du Real Madrid et Liverpool – parti du côté de l'Anzhi : « Pour la plupart des étrangers, l'adaptation peut être vraiment difficile. Même moi, je ne me sentais pas si bien que ça à Khabarovsk, avoue Dyupin. Nos entraînements avaient lieu l'après midi. Je me couchais donc à 4h du matin et dormais la moitié de la journée ». Même son de cloche pour le marseillais Jonathan Behe, qui n'a jamais réussi à s'adapter à Vladivostock : « Ma vie quotidienne était fade et je ne sortais pas beaucoup de l'hôtel, confie-t-il. A cause du décalage horaire, je veillais la nuit et dormais de 7h a 16h avant d'aller à l'entraînement ». Et si la formation de jeunes talents locaux pourrait être une alternative à ce manque d'attractivité, il n'en est rien. Car là aussi, la fuite des cerveaux fait rage: « Les jeunes joueurs essayent tous de partir pour jouer à l'ouest, du fait des meilleures conditions d'entraînements et infrastructures en place, poursuit Poddubskiy. On n'a pas de vrai centre de formation donc on ne peut attirer que des jeunes vivants déjà à Khabarovsk. Et même ceux-là, on finit par être obligé de les regarder partir ».

Quand on a que l'Amour

Pour les courageux qui auraient tout de même décidé de tenter l'aventure, il faut alors s'attendre à une préparation bien spécifique en vu d'atténuer au maximum tous ces désagréments : « Lorsqu'on évolue dans un autre club du championnat, on gaspille moins d'énergie lors des déplacements. A Khabarovsk, cette dépense rend la préparation des matches très difficile, se rappelle Yuriy Dyupin. On était notamment obligé de porter des habits de compression pour faciliter la récupération. Pour pouvoir dormir dans l'avion et éviter le jetlag, on devait également prendre des pilules spéciales à base de plantes ». Pourtant, Mikhail Poddubskiy l'affirme : « La récupération a beau être plus compliquée et le programme d'entraînement nécessairement différent de ce qui se fait à l'ouest, les joueurs finissent par s'habituer à ce rythme de vie ». 
 
 

Si tous les joueurs passés par le club ne semblent pas forcément en accord avec ce constat, le SKA ambitionne tout de même de pérenniser sa place dans l'élite afin de devenir le club numéro un de l'est sibérien. Devant le Luch Vladivostok, qui lutte pour l'instant pour sa survie à l'étage inférieur. C'est dans cette optique que les dirigeants de Khabarovsk se sont lancés dans une stratégie de développement marketing et sportif, afin de faire entrer le club dans une nouvelle ère, tout en renouant avec son histoire. Un projet ambitieux qui pourrait se heurter à la réalité du terrain : « Je souhaiterais que Khabarovsk puisse se maintenir en Premier League, reconnaît Dyupin, toujours en contact avec de nombreux supporters du club. Mais je connais bien le SKA de l'intérieur, son budget, et il risque de ne pas réussir à y rester longtemps. »

Cette montée dans l'élite, même si elle ne devait être qu'éphémère, aura au moins le mérite de donner un coup de projecteur sur le club de football local. Car l'ancien club de l'armée rouge est loin d'être la formation la plus suivie de la ville : « Il n'y a pas une énorme culture footballistique à Khabarovsk. L'Amour, le club de hockey, est plus populaire, constate Mikhail Poddubskiy. Mais en étant en Premier League, il n'y a pas de raison que l'on ne puisse pas
rattraper notre retard
. » Et les rouge et bleu ne pouvaient rêver plus belle vitrine pour mobiliser les supporters derrière eux : « La promotion a été une grande fête, explique Yuriy Dyupin. Pour les supporters, c'est l'occasion de voir les meilleurs clubs du pays jouer au Stade Lénine. Cette saison devrait attirer beaucoup de gens au stade. » Bien vu, puisque les 15 200 places du Stade Lénine avaient toutes trouvées preneur lors du match d'ouverture face au Zenit. Les supporters sont fiers que le SKA représente l'extrême orient russe et ils sont bien décidés à le faire savoir. 

Pékin Express

D'autant que les performances du club à domicile ne peuvent qu'inciter les fans à se rendre au stade. Sur son terrain, le SKA a notamment fait tomber le Spartak Moscou l'an dernier, en 32e de finale de la Coupe de Russie. Cette saison, c'est également à domicile que Khabarovsk a pour l'instant grappiller la quasi totalité de ses points (victoire face à l'Anzhi, nul face au Rubin Kazan). De quoi agacer ses adversaires, moins rompus aux joies de ce long déplacement: « Lorsqu'on jouait à domicile, on avait l'avantage sur les équipes de l'ouest qui arrivaient fatigués par le voyage et le décalage horaire, confie Dyupin. Tant que tu ne l'a pas vécu, tu ne peux pas réaliser ce que c'est. » C'est ainsi qu'un soir de défaite 4-0 face à Vladivostock, en 2007, le gardien du CSKA Moscou, Igor Akinfeev perd ses nerfs : « Ils devraient évoluer dans le championnat japonais », déclare-t-il. 
 
 

Bien qu'à Khabarovsk, la plupart des voitures aient le volant à droite car achetée au Japon, la Chine serait une bien meilleure option. Outre la proximité géographique, la partie extrême orientale de la Russie est en effet entièrement tournée vers Pékin pour le commerce. En 2009, 10 000 migrants chinois s'étaient d'ailleurs installés dans la ville. Preuve que l'idée n'est pas totalement absurde, l'équipe réserve de l'Amour Khabarovsk (NDLR : Golden Amour), le club de hockey, a participé en 2004/2005 à la Ligue Asiatique (Japon, Chine, Corée du sud). Mais une telle possibilité semble cependant totalement exclue concernant le football. Et le fait que l'ancien dictateur nord-coréen, Kim Jong-Il, ait officieusement vu le jour dans cette ville ne changera rien au sort du SKA.

Plus que jamais, le club de l'Est sibérien devrait affronter cette saison seul contre tous : « A Vladivostock, j'ai pu sentir que les décisions arbitrales étaient en notre défaveur, se souvient Jonathan Behe. Je pense qu'au fond, ça n'arrange personne qu'un club de l'extrême orient russe s'installe en Premier League. » Car en plus des déplacements que doivent gérer ses adversaires, la fédération doit également aménager le calendrier afin que les matches prévus début décembre, avant la trêve hivernale, ne se jouent pas à domicile, météo oblige. D'ici là, le SKA espère pouvoir regarder dans son rétroviseur et voir des clubs de l'ouest dans son sillage. La moitié du chemin aura déjà été faite. Mais à Khabarovsk plus qu'ailleurs, la route est parfois plus longue que prévue. 

Vladimir Crescenzo

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