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MAGENTA, LE CLUB FRANCAIS DU BOUT DU MONDE

Si l'AS Monaco réalise un parcours admirable en Ligue des Champions, il n'est pas le premier club français à avoir atteint la demi-finale d'une compétition continentale cette saison. A 17 000 km de la métropole, un autre ASM s'est déjà invité dans le dernier carré de « sa C1 » : Les Calédoniens de l'AS Magenta, demi-finalistes malheureux de la O'League, la Ligue des Champions d'Océanie

26 mai 1993, Olympiastadion de Munich, 44e minute. Basile Boli terrasse le Milan AC et offre à l'OM et à la France son seul et unique sacre en C1. Nicolas Marin n'a alors que 12 ans, et devant sa télé, il est à mille lieux d'imaginer qu'un jour il passera si près d'imiter ses idoles. Ou presque. Car en rejoignant l'AS Magenta pour une dernière pige, l'ancien Stéphanois s'est aussi offert un dernier frisson, celui de la Ligue des Champions de l'OFC (Confédération Océanienne de Football). Pendant que Paris et Monaco connaissaient des fortunes diverses en Ligue des Champions cette saison, Magenta rejoignait quant à lui, sans difficultés, l'avant dernière marche de la O'League. Porté par un Nicolas Marin intenable et meilleur buteur du club dans la compétition (5 réalisations en 4 matches), Magenta y a cru jusqu'au bout. Jusqu'à ce que Team Wellington (NZ) ne leur barre la route. 

Après un match aller encourageant (2-2), l'ASM va en effet lourdement chuter au retour : Wellington s'impose 7-1 (9-3 sur les deux matches) et Magenta quitte la compétition avec un goût amer : « Les fans étaient déçus, mais ce n'était pas seulement à cause de la défaite, se souvient Ben Harris, attaquant de Team Wellington. Les joueurs ont laissé tombé au lieu d'essayer de renverser la partie. » Menés seulement 2-1 à la pause, les coéquipiers de Nicolas Marin perdent le fil du match après l'expulsion d'un de leurs hommes en fin de première période. Wellington n'a alors plus qu'à dérouler. Magenta finit même à neuf contre onze : « Le score est flatteur, avoue Tom Jackson, buteur pour Wellington ce soir-là. Sans ces cartons rouges, le match aurait été forcément beaucoup plus fermé ». 

Magenta rit jaune 

L'histoire se répète pour « Les Jaunes» de Magenta qui avaient déjà subi la loi de Team Wellington au même stade de la compétition l'an dernier (2-0, match unique). Mais s'ils ont fini par craquer, les Calédoniens ont cette fois-ci fait douter leurs adversaires : « J'ai été très impressionné par Magenta, confie José Manuel Figueira, coach de Wellington. C'est une équipe très offensive et agressive emmenée par des joueurs de grande qualité capables de faire basculer un match à eux seuls. » Car si Nicolas Marin s'est avéré être l'atout numéro un de l'ASM cette saison, il n'est pas seul : « Certains joueurs ont évolué quelques années en métropole pendant leurs études dans des niveaux tels que DH, CFA 2 et CFA, explique Victor Messeaud, gardien remplaçant de Magenta. C'est le cas de notre défenseur et capitaine Jeremy Dokunengo, ou de Didier Simane, milieu de terrain qui a évolué en Série C italienne. » Marin, Simane, Dokunengo, voilà les premiers noms systématiquement couchés sur la feuille de match par le coach Alain Moizan, ancien joueur de Lyon, Monaco et Saint-Etienne : « C'est sans aucun doute le meilleur entraîneur du territoire, poursuit-il. Il a une expérience du haut niveau et cela nous aide à être performants la scène calédonienne et océanienne. » 

Une expérience indispensable pour un club qui, bien qu'étant le plus titré de Nouvelle-Calédonie (10 championnats), évolue dans une Super Ligue qui n'a pas de statut professionnel : « Le championnat est du niveau CFA-CFA2, analyse Victor. On s’entraîne 4 à 5 fois par semaine, c'est déjà beaucoup pour un club amateur. » Mais les formations calédoniennes ne sont pas des clubs amateurs comme les autres. Car s'ils participent à la Coupe de France chaque saison – organisée par la FFF –, la Super Ligue est bel et bien un championnat à part entière, indépendant de la métropole,
contrairement aux championnats antillais par exemple. Et puisque la Nouvelle-Calédonie est membre de la FIFA et de l'OFC depuis 2004, ses formations ne représentent pas la France à proprement parler sur la scène océanienne : « Magenta est le porte drapeau du football calédonien avant tout, poursuit Victor Messeaud. Nous avons une fédération, nous sommes donc indépendants de la FFF. » C'est d'ailleurs le même sentiment qui semble dominer du côté des clubs tahitiens dont le statut est assez proche : « La Ligue 1 est le championnat le plus suivi mais la métropole est très éloignée et la plupart de mes joueurs n’y ont jamais mis les pieds, explique Cyril Klosek, entraîneur de l'AS Central, à Tahiti. Le sentiment général de mes joueurs et des dirigeants est plutôt la fierté de représenter Tahiti et la Polynésie. » Mais si la métropole est capable de se rassembler derrière le club de la Principauté de Monaco, il n'est pas insensé de se réjouir des performances de nos clubs ultra-marins sur leur scène continentale. D'autant que la Fédération Française de Football n'est pas complètement étrangère à l'évolution du football calédonien : « La FFF prend en charge le salaire d'un Cadre Technique Régional qui est au contact quotidien du football amateur calédonien, mais elle s'occupe aussi des formations pour les diplômes d'éducateurs en métropole et elle nous permet de participer au 8ème tour de Coupe de France, rappelle Michel Messeaud, président du club pour qui cela reste malgré tout à minima. Il nous manquerait sans doute une aide pour participer à plus de rencontres internationales pour pouvoir progresser. »

O'League et Tom 

Progresser, le maître mot pour enfin mettre la main sur un titre continental qui les fuit depuis leur première participation et une finale perdue, en 2005 : « Notre objectif était d'atteindre la finale cette année, pour ensuite pouvoir la remporter dans les années à venir, mais il faut persister, cela payera un jour, relativise Victor pour qui l'engouement suscité par la compétition reste trop léger. Certaines personnes nous jalousent et veulent voir Magenta perdre alors qu'il est dans l’intérêt commun qu'un club calédonien aille au bout. » Pour cela, Magenta devra d'abord continuer à enchaîner les bonnes performances en O'League pour se rapprocher de son objectif comme l'explique le meilleur buteur de la O'League cette saison, Tom Jackson (6 buts avec Team Wellington): « Disputer cette compétition est indispensable pour les clubs qui veulent se développer du fait des primes versées ». Et dire que cet argent est précieux est un euphémisme : « La plupart des clubs qualifiés se renforcent avec des joueurs étrangers: des Brésiliens, des Argentins, des Australiens, quelques Européens etc., complète Cyril Klosek. Auckland City ne compte quasiment que des joueurs étrangers. A l'AS Central (Tahiti), nous avons quatre Chiliens qui nous apportent leur professionnalisme. Cela a permis à quasiment tous les joueurs locaux d'élever leur niveau de jeu. » 

Bien que les enjeux financiers ne soient pas comparables avec les autres continents, cette Ligue des Champions de l'OFC est donc le préalable nécessaire pour attirer des joueurs étrangers  : « Disputer une compétition continentale est beaucoup plus compliqué dans les autres confédérations donc c'est un vrai atout, poursuit-il. Mais c'est aussi un problème de budget car il faut un réseau qui permette ce recrutement. Surtout que les frais de déplacements et le coût de la vie sur les îles sont assez élevés pour des retombées financières quasi nulles. » Et c'est peut-être ce qui explique que Magenta ne compte qu'un seul étranger dans ses rangs, l'international vanuatais Bill Nicholls. Néanmoins, cette deuxième demi-finale consécutive reste encourageante et l'ASM peut désormais se targuer de faire pleinement partie du gotha océanien : « On peut dire que cette année nous sommes le troisième club de la confédération derrière Auckland et Wellington (finalistes) qui sont semi-professionnels, analyse Victor Messeaud. Nous sommes donc le premier club amateur du continent. » Avoir atteint ce stade de la compétition leur offrira d'ailleurs un avantage non négligeable lors de la prochaine édition de la O'League. Le « Nickel » (NDLR : surnom de Magenta) aura en effet la possibilité d'accueillir à domicile sa poule, puisque tous les matches de son groupe se disputeront en NouvelleCalédonie. Et cela peut avoir son importance au sein d'une compétition dont le parcours jusqu'à la finale est semé d'embûches : « Ce n'est vraiment pas simple d'aller jouer dans les îles et de ramener de bons résultats », confie Ben Harris de Team Wellington. « Ces déplacements rendent la
compétition très difficile d'autant que la qualité des joueurs et des entraîneurs en Océanie ne cesse de progresser
», ajoute son entraîneur, Juan Manuel Figueira.

Pour autant, pas de quoi inquiéter des clubs néo-zélandais qui ont un boulevard devant eux depuis que l'Australie a rejoint la confédération asiatique (AFC) : « Auckland City a remporté les 6 dernières éditions de la Ligue des Champions, constate Cyril Klosek. Les clubs néo-zélandais sont plus structurés puisqu'ils fonctionnent comme des clubs professionnels. » Une différence de moyens et d'infrastructures qui a jusque-là barré la route aux clubs « cagous ». Aucun club calédonien n'a en effet réussi à battre un adversaire « kiwi » en Ligue des Champions depuis 1987. Trente ans de domination. D'abord australienne, et maintenant néo-zélandaise. Mais à en croire Victor Messeaud, les dynamiques pourraient évoluer et l'écart de niveau ne serait pas si énorme que ce que le palmarès de la O'League le laisse penser : « Les clubs néo-zélandais ne sont pas intouchables, mais leur football est plus rigoureux tactiquement, explique-t-il. Les joueurs calédoniens ont souvent de grandes lacunes tactiques, et même si nous jouons mieux au foot qu'eux, ils gagnent chaque année. »

Cagou Juniors 

Un sacre continental comme leitmotiv pour « ne pas stagner » comme le confie Victor Messeaud. Mais pour rattraper de manière durable l'écart qui les sépare des formations néo-zélandaises, le travail en amont ne doit pas être négligé : « La formation est forcement meilleure en métropole dans les centres de formation, poursuit-il. Ce qui manque c'est notamment des entraîneurs diplômés. » En plus des modules dispensés par la FFF, la Confédération Océanienne de Football tente de prendre le problème à bras le corps : «  L’OFC et la FIFA travaillent sur le développement de centres de formation et de perfectionnement sur l’ensemble des 11 fédérations océaniennes, explique Cyril Klosek, qui ne voit dans l'apport des joueurs étrangers en Océanie qu'une solution de court terme. Le développement doit avant tout passer par la structuration des clubs et la mise en place d’un encadrement formé et diplômé dès les petites catégories. » Et le travail semble commencer à porter ses fruits dans toute la Confédération océanienne si l'on en croit Juan Manuel Figueira : « L'an dernier, de nombreux coachs ont débuté des cours pour passer leur Diplôme A d'entraîneur (échelon national, le plus élevé en Océanie), confie-t-il. Il y a un vrai désir de s'enrichir sur le plan tactique et technique et c'est une bonne chose pour le football de cette région. » Une initiative soutenue par l'UEFA qui devrait permettre, à long terme, une meilleure harmonisation du niveau des jeunes joueurs océaniens.

A ce petit jeux là, les « Cagous » (NDLR : surnom des néo-calédoniens) parviennent d'ailleurs à tirer leur épingle du jeu puisque l'équipe nationale U17 disputera la Coupe du Monde qui se tiendra en Inde, en octobre prochain. Il s'agit là du premier tournoi FIFA de son histoire, preuve s'il en faut que le niveau des jeunes calédoniens ne cesse de s'élever. Une bonne nouvelle pour la Super Ligue puisque tous les U17 évoluent encore au pays. Mais également un coup de pouce pour la médiatisation du football local qui fait tout doucement son trou avec des matches de Super Ligue diffusés en direct tous les week-end. La chaîne Nouvelle-Calédonie 1ère (groupe France Télévision) retransmet également les matches de O'League des clubs engagés. Tout semble donc en place pour enfin réussir à fédérer tout un territoire derrière ses représentants dont Magenta est le chef de file : « La culture foot pourrait être plus importante car il y a du potentiel, analyse Victor Messeaud. Nous avons une moyenne de 1500 personnes en championnat et nous avons même joué la finale de la Coupe de Calédonie devant 3500 spectateurs. » Des chiffres très honorables pour un niveau amateur, mais qui restent encore loin de la capacité totale du stade Numa Daly de Nouméa (10 000 places). Mais que les inconditionnels de Magenta se rassurent, un stade à moitié vide n'a jamais empêché une équipe de s'offrir de belles épopées sur la scène continentale. Les 9 000 spectateurs de moyenne présents à Louis II (sur 18 523) cette saison en témoignent. 

Vladimir Crescenzo

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